Par Véronique Rivest, 2e meilleure sommelière au monde
Nous vivons dans une drôle d’époque. Mieux vaut en rire qu’en pleurer, mais c’est quand même inquiétant. Le savoir, l’érudition et l’expertise sont dénigrés dans les plus hautes sphères. Eric Asimov, critique vin du New York Times, faisait le lien récemment avec le vin, en citant toutes ces études qui affirment que le vin est une arnaque : parce que les consommateurs préfèrent les vins les moins chers, que le vin cher n’est pas meilleur, que les critiques ne sont que des snobs qui veulent vous faire dépenser plus, et qu’il vaut mieux vous faire conseiller par quelqu’un qui n’y connaît rien plutôt que par un soi-disant expert. Il est pourtant clair dans ces études, et M. Asimov le souligne justement, que plus le consommateur approfondit ses connaissances sur le vin, plus il l’apprécie, et ses goûts s’éloignent alors des vins les moins chers. Et l’on ne parle pas ici de passer d’une bouteille à 8 $ à une bouteille à 100 $ ! Mais plutôt de passer de 10 $ à 15 $, ou de 15 $ à 20 $. On le répète souvent, les vins qui présentent les meilleurs rapports qualité-prix sont dans la fourchette de 15 $ à 50 $, et ils sont très nombreux entre 15 $ et 30 $.
PLAISIR ET CONNAISSANCE
Beaucoup de consommateurs ne sont pas désireux d’en savoir plus, et sont très contents avec des vins à petits prix. Et c’est très bien ainsi. On peut admirer un tableau sans rien savoir de l’artiste, de sa démarche, du mouvement dans lequel il s’inscrit. Mais ça ne veut pas dire que ceux qui en apprennent plus sur l’artiste et apprécient la même oeuvre différemment sont des snobs.
Je crois sincèrement que le plaisir croît avec la connaissance. C’est d’ailleurs en défendant ce principe que j’avais démarré ma toute première chronique, ici, en 2015. J’ai toujours voulu démocratiser le vin, mais ça ne veut pas dire le banaliser ! Le vin reste un sujet infiniment complexe, mais aussi accessible à tous. Rien n’est nécessaire pour l’apprécier, à part un tire-bouchon, des verres et de la curiosité.
Pas besoin de diplôme, ni de techniques ou de vocabulaire spécialisés. Une des causes principales de l’inconfort que ressentent les gens face au vin est la façon dont on en a parlé pendant des années : hautaine et élitiste. Des gens se sont proclamés grands connaisseurs et allaient nous apprendre, à nous pauvres ignorants, ce qu’était le bon vin. Ils l’ont affublé d’un protocole parfois ridicule et d’un langage encore pire, laissant croire qu’on ne pouvait l’apprécier sans maîtriser ces techniques ou ce jargon. C’est malheureux à dire, mais c’est toute l’industrie du vin qui s’est ainsi tiré dans le pied en s’aliénant une grande partie du public.
Tout plein d’idées reçues subsistent autour du vin, mais heureusement, il s’est aussi pas mal démocratisé. Il s’est en partie défait de son image guindée et pompeuse. Il n’y a qu’à voir du côté des sommeliers : exit le vieux sommelier arrogant, rigide et condescendant. Aujourd’hui, il est beaucoup plus avenant, ouvert et rassembleur. Et la même chose s’applique à tous ceux qui font le lien entre les vignerons et les consommateurs : les détaillants, les critiques, etc. Mais attention, cette vieille arrogance qu’on espère essentiellement disparue nous guette toujours.
Depuis quelques années, c’est la mode de l’obscurantisme : plus le vin est bizarre et inconnu, plus il est recherché. Et plus il finit par coûter cher. On retombe de plus belle dans l’arrogance quand un sommelier roule les yeux face à un client qui ne comprend pas quand on lui parle de blauer wildbacher, d’athiri ou de La Crescent (tous des cépages). Ou pire encore, lorsqu’un client se fait dire que s’il n’aime pas un vin, c’est parce qu’il ne le comprend pas. Je vois de jeune sommeliers qui s’intéressent au vin depuis six ou sept ans, et qui font des commentaires définitifs sur ce qui est bon ou ce qui ne l’est pas, qui donnent l’impression, par leurs opinions très arrêtées, d’avoir tout compris et maîtrisé. Alors que toute une vie ne suffit pas à tout comprendre !
Toutes ces études qui disent que les vins chers sont une arnaque m’agacent. Parce qu’elles dénigrent l’apprentissage : restez ignorants, ça vous coûtera moins cher. Mais lorsque ce sont les gens du métier qui découragent l’apprentissage, en intimidant les consommateurs avec leur dernière trouvaille obscure ou avec un comportement arrogant, alors que nous devrions tous chercher à être le plus inclusifs possible, là, je me fâche.
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