Sacré meilleur sommelier du Canada, en septembre 2017, le sommelier du Toqué vise à conquérir les Amériques, lors du concours qui aura lieu à Montréal. Portrait d’un compétiteur souriant.
Par : Rémy Charest
Magazine SAQ – Le goût de partager, 30 avril 2018
Sympathique gaillard au sourire engageant, Carl Villeneuve-Lepage a passé l’automne à prendre pleinement conscience de sa victoire de septembre, qui le propulsait dans les plus hautes sphères de la sommellerie canadienne. « Quand j’avais deux minutes pour y penser, j’avais du mal à y croire », explique celui dont le principal emploi consiste, depuis quatre ans, à proposer accords et bonnes bouteilles aux clients du Toqué!, à Montréal.
Il faut dire que les suites immédiates peuvent avoir de quoi faire tourner la tête du gagnant, avec de nombreuses offres de voyages, de formations et d’emplois, qu’il se retrouve pour la plupart à refuser. Quelques exemples ? Une appellation italienne voulait l’employer pour donner des formations sur ses vins. Après qu’il a accepté un voyage en Australie, la Chine l’a également invité à venir voir son vignoble en pleine expansion, dont les installations de Moët et Chandon, tout près du Népal. Et le grand groupe vinicole Gallo le recevra en Californie à l’automne, au moment des vendanges, pour lui permettre d’observer de plus près le travail de vinification. « Ils m’ont dit : “Qu’est-ce que tu veux apprendre ?”, donc le programme sera sur mesure. Ça me donnera une occasion de m’instruire davantage sur la technique, la chimie… » Bref, cette victoire est déjà un tremplin d’envergure pour approfondir ses connaissances et son métier.
Un soutien essentiel
Malgré toute cette agitation, le sommelier tient à rester en poste au restaurant de Normand Laprise qui, en plus d’être une des meilleures tables du Québec, lui offre des conditions idéales pour un travail stimulant, et un apprentissage intensif et constant. « Mes patrons sont contents et ils me laissent toute la flexibilité pour voyager et préparer les concours. »
En service quatre soirs par semaine, il détermine les accords des menus dégustation et assure la responsabilité des achats. Ces fonctions ne l’empêchent pas de perfectionner ses connaissances théoriques et pratiques, en vue du concours du meilleur sommelier des Amériques. Il a également comme objectif le concours mondial, en 2019. Même la préparation des menus y contribue : « Ça peut surprendre, mais les menus du Toqué! commencent beaucoup par les vins qu’on choisit, et les chefs accordent leurs menus avec nos choix. Ils sont là pour apprendre et ils posent beaucoup de questions. » Travailler sur des accords mets-vins signifie que les sélections de vins bougent constamment, ce qui permet à Carl Villeneuve-Lepage d’élargir sans cesse ses dégustations.
Toujours plus loin
En partant à la chasse aux grands honneurs, le sommelier était bien conscient de l’ampleur du travail à accomplir, lui qui a été il y a quelques années l’assistant d’Élyse Lambert au restaurant Le Local, au moment où celle-ci prenait la voie des concours internationaux. Le côté compétitif lui vient de loin : « La compétition m’a toujours plu. Jeune, je participais à des concours de musique. » Grâce à des champs d’intérêt élargis, il a tâté de plusieurs instruments : violon, piano et hautbois. Une façon de ratisser large qui convient bien à la sommellerie. « L’envie d’aller plus loin me motive. Regarder des cartes détaillées des régions vinicoles, j’adore ça. Je suis assez encyclopédique dans mon approche. » Encyclopédique, déterminé et endurant, aussi : « Je n’ai jamais rien gagné du premier coup, souligne-t-il. Pour le titre de meilleur sommelier du Québec et du Canada, ça a été la deuxième fois. Et là, c’est mon deuxième passage au concours des Amériques… »
Cet apprentissage constant est pour lui le plus beau côté de son métier. Un long voyage qui a commencé par une bouteille de J. Lohr Seven Oaks, dégustée avec de la pizza, à l’époque où il travaillait au restaurant d’un club de golf de Belœil. L’envie d’en savoir plus ne s’est jamais démentie depuis, qu’il s’agisse de mieux comprendre l’Italie ou de découvrir l’effervescence qui entoure les vins orange, partout dans le monde vinicole. « Avec la sommellerie, ce qui est bien, c’est qu’on n’en voit pas la fin. Par exemple, au départ, je ne faisais pas tant attention à l’histoire, voire à la géopolitique, mais je m’aperçois que ça peut compter pour beaucoup, dans la façon dont le monde du vin a pris forme. Ça change continuellement, il y a toujours du neuf, on rencontre des gens fascinants. On a le plaisir d’être constamment dérouté. »
La passion d’un sommelier: trois questions à Carl Villeneuve-Lepage
1) En quoi consiste le métier de sommelier, pour toi?
« Un sommelier, c’est quelqu’un qui travaille dans un restaurant et qui sait s’adapter aux besoins de son client en matière de vins et d’accords. Le plus important, selon moi, dans une prestation de service, c’est de savoir identifier les attentes du client quant à la présentation du produit (origine, histoire, les gens impliqués dans sa production, les techniques utilisées, etc.). Jusqu’où est-il utile d’aller dans la présentation des différents choix de vins pour que ce client sente qu’on lui a accordé l’attention qu’il espérait ? Parfois, le client ne veut entendre que le strict minimum, il faut aussi savoir respecter cela. »
2) Un truc, une astuce, un conseil que tu aimerais donner?
« Aux clients : à la SAQ, sortez de votre zone de confort, demandez conseil. Dirigez-vous vers des produits de spécialité, osez ! Avec le même budget, vous y ferez souvent de belles découvertes. Je pense, entre autres, à des vins comme le langhe de Produttori del Barbaresco. Aux sommeliers : il y aura toujours des clients qui en savent plus que nous, il ne faut pas l’oublier. La plupart du temps, ces clients n’étaleront pas l’étendue de leurs connaissances. Il s’agit, selon moi, d’être honnête et de demeurer humble dans notre prestation de services et de conseils. »
3) Qu’est-ce qui t’allume dans le vin ?
« Plusieurs choses :
• La dégustation à l’aveugle ;
• La transmission des connaissances (entre autres, par l’enseignement) ;
• Les rencontres avec les vignerons, les fournisseurs… et les échanges qu’elles génèrent ;
• Les madères et les marsalas, des vins fortifiés portugais et italiens au caractère unique. Ils sont trop peu connus et devraient faire l’objet d’un intérêt plus marqué dans les restaurants. Ces vins ont beaucoup de choses à raconter. »
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