Par Sarah Calay, Le Parisien
Caractère bien trempé et sens de la formule aiguisé, Marie-Lou continue à servir des bières dans le café hérité de ses parents. Raccrocher ? Elle n’y pense même pas.
C’est une très jeune centenaire qui le dit. « Quand je serai vieille, j’arrêterai de travailler », s’engage Marie-Louise Wirth, surnommée Marie-Lou par des générations de clients. « Et des clients, j’en ai enterré pas mal », recense-t-elle. Depuis plus de six décennies, cette drôle de Ch’ti, qui vient de souffler ses 100 bougies, tient le bistrot situé à une maison de la mairie d’Isbergues (Pas-de-Calais), petite ville de 9 000 âmes. «Je touche ma retraite depuis que j’ai 65 ans, mais je continue de cotiser pour les autres», s’amuse-t-elle.
L’établissement de la rue Jean-Jaurès inauguré par ses parents en 1932, «année de naissance de l’anisette Ricard», et dans lequel elle donnait un «coup de main» dès ses 15 « piges », n’a jamais porté de nom. «Où il y a de la bonne bière, il n’y a pas besoin d’enseigne», argumente la demoiselle, célibataire et sans enfant.
Voyage dans le temps
L’intérieur offre une plongée dans le passé. Sur un calendrier publicitaire, le numéro de téléphone se contente de six chiffres. « L’eau est polluée, buvez du muscadet », suggère un slogan dominant les tables en formica. Derrière le comptoir, pas de pompes à bière ni de machine expresso. « Je ne suis pas moderne », sourit-elle. Mais ici, on a le choix de commander, selon la fraîcheur désirée, une bouteille de houblon sortie « de la cave ou du frigo ».
Marie-Lou est à pied d’œuvre tous les jours, sauf quand elle est en vadrouille. « En fait, j’ouvre quand je veux, je suis maître chez moi. Mon péché mignon, c’est d’aller au restaurant », confesse-t-elle. « Elle adore le ris de veau et les coquilles Saint-Jacques », dévoile Marie-Claire, sa meilleure copine âgée de 72 ans. Elle aime aussi danser la valse et le tango, bref « faire la fête ». « Cela ne me fait rien de rentrer à 3 heures du matin et de me retrousser les manches dès 8 h 15 », assure-t-elle.
Les secrets de sa longévité ? « J’ai tout fait à l’envers. Aucun fruit, aucun laitage. Et pas de sport, j’ai horreur de la marche. Et pourtant, avec tout ça, je n’ai que le bon cholestérol », savoure-t-elle. L’épicurienne éternelle boit aussi tous les jours. « Mais modérément », prévient celle qui se laisse volontiers offrir un petit verre de rosé à 10 h 45. « Comme quoi le travail, c’est la santé ! » admire Michel, 79 ans, qui fut son premier banquier, dans les années 1960.
Un caractère bien trempé
Le tempérament de la patronne aux yeux bleus demeure bien trempé. « On naît avec son caractère. Dans le temps, j’ai viré des clients qui élevaient trop la voix. J’aime bien discuter, mais faut pas m’embêter. Chez moi, il n’y a pas de milieu, j’aime ou j’aime pas ! Et si vous n’êtes pas content, c’est le même prix », réplique-t-elle.
Elle sait parfaitement recevoir mais prend plaisir à faire croire le contraire. « Ici, on boit, on paie et on s’en va. Je ne suis pas toujours aimable. Je suis peut-être un peu trop brutale. Je vais aller en enfer pour pouvoir brûler toutes les mauvaises langues, tous les faux jetons », projette-t-elle. Elle est nostalgique des années d’après-guerre, des Trente Glorieuses. « Il n’y avait pas de jalousie comme aujourd’hui. C’était plus fraternel », se souvient-elle. Elle trouve que « les jeunes de maintenant, ils sont fatigués en se levant ».
Pas question, pour elle, de baisser le rideau. « Moi, je bosserai tant que j’aurai toute ma tête et que je pourrai tenir sur mes jambes », martèle-t-elle. Elle est surprise par son destin. « J’ai toujours cru que j’allais mourir jeune », confie-t-elle. Alors, à son âge, la Grande Faucheuse ne lui fait « plus peur ». « Quand on a vécu, faut savoir laisser la place aux autres », souffle-t-elle.
Bio express de Marie-Lou
23 novembre 1917. Naissance de Marie-Louise Wirth.
1932. Ses parents deviennent propriétaires d’un café à Isbergues, à 20 km de Béthune. Elle y lave ses premiers verres.
1940. Obtient son « permis de conduire les automobiles ».
1953. Décès de son père. Un an plus tard, elle reprend le bistrot. A l’époque, il y a une dizaine de bars dans son quartier. Il ne reste plus que le sien.
1982. A 65 ans, elle commence à toucher une retraite.
2013. S’offre des vacances en Martinique où elle découvre, à 96 ans, l’acrobranche.
23 novembre 2017. Célèbre son anniversaire dans son estaminet en présence d’amis, de clients et de nombreux élus.
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